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Ooredoo met Tunisiana au musée

 
La marque de l’opérateur de télécommunications Tunisiana disparait au profit d’Ooredoo. Une disparition qui s’est faite sur fond de tintamarre sur les réseaux sociaux tunisiens qui voyaient d’un mauvais œil ce changement. Le buzz créé a cependant bien profité à la nouvelle marque qatarie qui ne demandait qu’une chose : faire parler d’elle le maximum possible. C’est réussi !

A chaque pays son Histoire et ses légendes millénaires. La Tunisie a son Hannibal et ses Carthaginois. La France a ses gaulois et l’Italie a son César et ses Romains. Que peut avoir le Qatar ? D’après la légende, des archéologues ont commencé à creuser dans cette monarchie pétrolière du Golfe et ont découvert des pièces archéologiques rares. Il s’agirait, toujours selon la légende, de ces bons vieux inusables Nokia 3310.
Pour casser du sucre sur le dos des Qataris, les Tunisiens ne sont jamais à court de blagues. Et cela va des blagues des plus salaces aux classiques bêtes et méchantes. Le sarcasme tunisien a, en effet, réussi à faire sortir de ses gonds le président de la République, en avril 2013. Moncef Marzouki, en son nom, avait averti, à l'époque : "En tant que tunisien et arabe, je mets ceux qui insultent ce pays devant leurs responsabilités avec eux-mêmes et face à la loi". Menaces qui n’ont intimidé personne, au contraire.
Un an après, le sujet qatari est de nouveau mis sur la table par les Tunisiens, notamment sur les réseaux sociaux, qui viennent de découvrir que le premier opérateur GSM du pays est… qatari. L’information est bien ancienne et date de plusieurs années. Et les parts qataries sont passées à 90% depuis plus d’un an. Mais ce n’est qu’à l’occasion de ce changement de marque que l’on s’est rendu compte que « le ver est bien dans le fruit ». Depuis l’annonce la semaine dernière de la disparition de Tunisiana (un nom bien tunisien) au profit d’Ooredoo, les critiques les plus violentes sont incessantes contre l’émirat du Golfe et son opérateur téléphonique.

Au siège de l’opérateur aux Berges du Lac, l’équipe (presque 100% tunisienne) n’échappe pas aux sarcasmes. Une cadre nous avoue que ses enfants ne cessent de la harceler depuis une dizaine de jours avec la nouvelle chanson «Tunisiana hya Ooredoo et Ooredoo hya Tunisiana ».
Aux services marketing et de communication de l’opérateur, on regarde la chose autrement. L’objectif étant que les Tunisiens mémorisent la nouvelle marque. De ce point de vue là, c’est réussi, il n’y a pas à dire. La citation attribuée à Léon Zitrone « Qu'on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L'essentiel, c'est qu'on parle de moi ! » est plus que jamais d’actualité.
Reste qu’une marque a des obligations que n’a pas et ne peut avoir une personnalité publique. Ici, on parle business. Et le business de Tunisiana se chiffre en milliards de dinars.
Il fallait réagir en deux temps, nous explique Najla Chaar, directrice de la communication et véritable gourou de la société en la matière. D’un côté, il ne faut pas répondre frontalement aux critiques. Mais de l’autre, il fallait ne pas se laisser marcher sur les pieds. Surtout que la concurrence est aux aguets et ne s’est pas épargné le plaisir cynique de jeter l’huile sur le feu pour bien alimenter la polémique anti-Ooredoo.

La stratégie mise en place consistait à rappeler que l’opérateur, indépendamment de la marque commerciale qu’il porte, est tunisien et bien tunisien. La preuve, ses 5.000 emplois directs et indirects qu’il génère dans le pays. Mais aussi, toutes ces œuvres de bienfaisance et tous ces projets participant à l’économie du pays (voir notre article à ce sujet) . Ces rappels chiffrés n’ont pas calmé pour autant la polémique et les appels au boycott de la marque. On parle carrément de fierté nationale et on rappelle, en retour, que le Tunisien ne s’achète pas avec les pétrodollars.
La polémique s’est carrément enflée quand on a appris (par le biais d’une certaine concurrence portant une couleur fruitée) que le lancement officiel de la marque se fera au musée du Bardo. "Enfer et damnation ! Ainsi donc, les Qataris osent piétiner nos mosaïques en souillant ce haut lieu symbolique de la Tunisie trois fois millénaire ! Mais que fait le ministère de la Culture ! ", ironisent certains sur les réseaux sociaux.
Du côté des Berges du Lac, on garde son calme. Du moins en apparence, puisque la réponse s’est faite par des actes.


Le jour J, soit hier jeudi 24 avril, le rendez-vous est donné au musée du Bardo. La polémique et les cris d’orfraie n’ont pas dépassé Facebook et Twitter. Au musée, on a mis les petits plats dans les grands et l’ambiance était bon enfant. La polémique ? On en rigole. Le changement ne touche pas que la Tunisie, mais l’ensemble des filiales de la marque qui se trouvent dans 6 pays.

Du côté du service communication, la stratégie demeure la même. On explique en usant de sang froid, et on évite l’affrontement et la provocation.
Le choix du musée du Bardo ? « C’est pour rappeler que l’opérateur demeure ancré et enraciné dans l’Histoire de la Tunisie trois fois millénaire », indique Mme Chaar. Le capital d’Ooredoo Tunisie a beau être détenu essentiellement par des Qataris, l’opérateur demeure tunisien.
Pour bien appuyer cet esprit d’appartenance, les invités ont eu droit à des ballets chorégraphiques d’une rare exception dirigés par Sihem Belkhodja. Des tableaux sur fond de musique tunisienne traditionnelle.
Quant à « l’offense » faite aux lieux, Najla Chaar relève que ce n’est pas la première fois que l’espace est loué à des entreprises privées et qu’il y a à peine quinze jours, un laboratoire pharmaceutique de renom y organisait un événement. On nous explique que le musée du Bardo a besoin de fonds pour la restauration et le budget alloué par le ministère de la Culture ou les recettes des guichets ne sauraient suffire. Faire appel à ce type de locations n’est qu’une bonne chose pour les finances d’un musée comme celui du Bardo. La pratique est courante de par le monde. La facture de la location des deux espaces alloués à Ooredoo pour sa soirée du 24 avril est de 20.000 dinars. Pas de quoi renflouer vraiment les caisses, mais ça allège. Najla Chaar n’entre pas trop dans les détails mercantiles, mais attire néanmoins l’attention sur l’organisation. Tout a été soigneusement pensé pour qu’aucune mosaïque ne soit touchée. Des estrades et des supports métalliques légers ont été installés où l’on a accroché les projecteurs et les différentes affiches. Non seulement aucun mur du musée n’a été touché, mais on a tout pensé, y compris l’aération et les espaces occupés par les invités.

Avec ce lancement, une page est tournée. L’opérateur, lancé en 2002 par l’Egyptien Naguib Sawiris patron d’Orascom, en a connu d’autres. Il a vu entrer dans son capital le Koweïtien Wataniya et la veuve de Yasser Arafat. Les Qataris sont venus ensuite dans la foulée de Sakher El Materi et Hamdi Meddeb. A vrai dire, et compte tenu du dispatching de son capital actuel, Ooredoo se trouve être plus « tunisienne » que la Tunisiana de 2002 puisque 10% de ses actions sont détenues par l’Etat tunisien, alors que durant toutes les années 2002, il n’y avait aucune action tunisienne dans son capital.
Les Tunisiens ont beau être allergiques aux Qataris et leurs investissements, il faut qu’ils se rendent, parfois, à l’évidence des chiffres et de la réalité. Et bon gré, mal gré, les investissements qataris en Tunisie sont (pas encore ?) comparables à ceux opérés en France où l’on a acheté le PSG, les prestigieux Concorde Lafayette à Paris ou Martinez de Cannes. Avec un fonds souverain estimé à 100 milliards de dollars (cinq fois le budget de l’Etat tunisien), il y a encore de la marge en effet…



Raouf Ben Hédi

source : http://www.businessnews.com.tn/Ooredoo-met-Tunisiana-au-mus%C3%A9e,519,45932,3

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